Cette année, pour donner une signification au soutien de la CER à la culture locale, nous avons choisi de donner la parole à Eléa Dupuis, jeune actrice de notre région, qui a 12 ans débute le tournage de Colombine, LE film de notre région. Eléa, gymnasienne à Lausanne, nous livre ses pensées et sa perception d’un monde sensible aux traditions, au patrimoine régional, et à l’ancrage de ses institutions bicentenaires. Parmi les très bons acteurs, issus de notre région, une jeune adolescente de 12 ans s’est vu confier le rôle principal de Colombine. Elle nous fait le plaisir de partager son expérience. En 2022, la CER a soutenu la distribution de ce film.
Alexandre Gauthier-Jaques
Directeur de la CER
Mon nom est Eléa Dupuis, j’ai 15 ans et je vis à Lausanne. J’étudie en 1ère année au gymnase.
Il y a quelques années j’ai appris de ma première prof de théâtre qu’un casting était organisé pour le tournage d’un film. Elle a encouragé mes parents pour que je me lance. Les compliments qu’elle a dits à mon égard m’ont donné confiance et j’étais curieuse de vivre l’expérience d’un casting. Les étapes de sélection se sont enchaînées. Cela m’amusait d’apprendre des petits textes, de les jouer sur le moment, d’improviser. Certes cela m’a beaucoup stressée au début, je ne connaissais rien du scénario. Rapidement durant le casting j’ai constaté que le cinéma était différent du théâtre. On ne joue pas de la même manière. Quand on joue une pièce de théâtre on vit le moment avec les gens. Tandis qu’au cinéma il faut se concentrer sur autre chose. L’approche est différente.
Je me souviens c’était un jour à midi, ma maman était au téléphone pendant longtemps. J’étais avec une amie et on l’attendait pour manger. Lorsqu’elle est venue vers moi après avoir raccroché, j’ai vu qu’il y avait quelque chose de spécial. Elle m’a dit « tu as été prise pour le film » et là je lui ai sauté dans les bras et mon amie était aussi très contente pour moi. On trouvait ça génial, on dansait autour de la table. Je ne l’ai pas crié sur tous les toits immédiatement après la nouvelle, par crainte peut-être.
D’ailleurs dès que j’en ai parlé la première fois à un ami il a de suite dit « tu ne prendras pas le melon ».
Lorsque j’ai commencé à tourner j’avais 12 ans. Je me suis vue grandir jusqu’à l’âge de 14 ans et la fin du tournage.
Certains membres de l’équipe disaient « Grandis pas trop ! » car il fallait que le personnage reste le même.
Du coup peut-être que j’ai retardé le fait de grandir. Dans ma tête en tout cas j’ai perçu le changement. Mais le rapport avec les gens autour de moi n’a pas tellement changé durant cette période.
En fait non. J’imaginais qu’il s’agissait d’une fête de dégustation de vins ou un événement comme un marché de Noël. Avant le début des répétitions j’ai été emmenée pour visiter l’arène. Là j’ai découvert des gens qui répétaient le spectacle de la fête, et les éléments qui commençaient à se mettre en place. Cela m’a fascinée. L’ambiance était à la fête. J’ai découvert le spectacle depuis les coulisses. J’y accédais par l’entrée des artistes. Je me suis assise, je voyais les costumes, les danses. Je faisais partie du public sans en être vraiment. Puis on m’a demandé de jouer au milieu des figurants et de m’y intégrer. Les gens étaient hyper chaleureux. Les voir ainsi autant impliqués tout en s’amusant tellement, cela m’a fascinée. Par moments j’avais de la peine à me concentrer. Je devais alors me mettre dans une bulle. Aujourd’hui avec le recul, je dirais que j’ai été aidée par mon innocence. En fait je n’ai jamais pu voir la Fête des Vignerons depuis les gradins. Pour moi c’était sympa de me cacher dans le spectacle. Et je me dis que le spectacle devait être aussi génial.
Je pense que cette histoire est intemporelle et universelle. Son immersion au sein même de la Fête des Vignerons pourrait par exemple aux Etats-Unis ne pas être comprise. Je pense à certaines scènes comme celle qui se joue avec les vaches. Mais il y a cette entrée dans un monde fantastique. C’estun peu comme Alice au Pays des Merveilles. La Fête des Vignerons représente ce monde merveilleux qui est à part. Même si elle est un peu banale l’histoire peut toucher beaucoup de monde. La recherche de sa propre identité fait partie de l’être humain. Ce n’est pas limité à la Suisse, ça concerne le monde entier.
(sourire) Il y a des moments lorsqu’on arrive à l’adolescence, où on ressent de la nostalgie à propos de l’enfance. Pour beaucoup de choses on nous considère comme des enfants et pour d’autres comme des adultes. C’est positif et difficile à la fois. On avance, on vit le moment présent, mais cet entre-deux provoque une peur de grandir, de perdre ce qu’on a. La nostalgie n’est pas négative en soi. Elle peut s’exprimer pour de beaux souvenirs. C’est pour cette raison que je pourrais avoir envie de retourner dans le passé. Quand j’étais petite mon rêve était de rencontrer les Romains et Cléopâtre. Du coup mon rêve s’est un peu réalisé grâce à Colombine. Il n’empêche dans la vraie vie je pense qu’il faut conserver son passé et aller de l’avant.
Pas grand-chose j’avoue. Autant que ce que je connaissais de la Fête des Vignerons avant de commencer le casting (rires). Il y a un côté patrimonial j’imagine en voulant apporter votre soutien à la culture locale, avec l’intention de faire revivre un peu la Fête des Vignerons. Vous avez soutenu la distribution du film. Un côté régional aussi par cette reconnaissance envers les gens qui ont vécu cette fête et qui y ont contribué. Car même si nous ne sommes plus dans cette période, la Fête des Vignerons est dans les cœurs.
Oui, peut-être à 6 reprises. La première fois était bizarre, j’avais perdu le fil. J’ai demandé à mes parents s’ils avaient compris l’histoire. Je n’étais pas sûre d’avoir bien suivi, car je n’avais pas vécu le film dans le même ordre que le tournage des scènes.
Lorsqu’on a joué dans un rôle mais que les pièces du puzzle sont mises dans un autre ordre, le cerveau dysfonctionne.
Jouer ce rôle m’a apporté des leçons pour ma vie de tous les jours.
Colombine est un personnage qui a beaucoup de courage. Qui ose dire ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, et j’ai perçu qu’elle mène un combat. Pour jouer un personnage qui a du courage il fallait se lancer et trouver son propre courage. Faire abstraction de tous les gens qui vous entourent, de ce qu’ils pensent, et ôter cette pression environnante. En étant moi-même pour jouer ce rôle, j’ai pris tellement de plaisir que cela m’a appris à oser. Oser dire ce que je pense et ne pas me cacher. Je pense qu’il faut avoir le courage de se battre et de faire les choses qu’on a envie. Ne pas avoir honte de soi-même, même s’il est dur d’avoir confiance en soi. Et lorsque j’ai encore l’occasion de parler de cette expérience, comme aujourd’hui lors d’une interview par exemple, je réalise à quel point j’ai été heureuse de faire ce film et de m’être lancée dans l’aventure. Cette période vit encore en moi, elle n’est pas oubliée. Elle représente l’accès à un monde fantastique comme Alice au Pays des Merveilles.
Interview réalisée en janvier 2023 par Alexandre Gauthier-Jaques