Alors que la pandémie de COVID-19 impacte notre pays et le reste du monde pour la seconde année consécutive, le secteur de l’événementiel est frappé de fermetures à répétition, de restrictions et de contraintes sanitaires. C’est le cas pour Montreux Noël, événement majeur au cœur de l’hiver dans notre région. Une situation jamais vécue depuis la fondation des marchés de Noël à Montreux en 28 ans d’existence. Se renouveler par la création d’une nouvelle activité avec la patinoire éphémère Light on Ice, c’est la preuve que le modèle peut continuer de fonctionner coûte que coûte. Yves Cornaro, cofondateur et directeur de Montreux Noël nous fait le plaisir de répondre à nos questions pour cette grande interview, en notre qualité de sponsor-partenaire de Light on Ice.
Alexandre Gauthier-Jaques
Directeur de la CER
Interview de Yves Cornaro : Cofondateur & Directeur de Montreux Noël
En 1995 dans la région, on était en pleine galère économique. Après la récession de 1992 l’économie mondiale était au ralenti. Alors qu’ils étaient nombreux à venir en vacances, plus aucun touriste, américain par exemple, ne venait à Montreux. Les conférences internationales et les congrès annuels professionnels étaient annulés.
A Montreux, au plus fort de l’hiver, tout était fermé de décembre à mars. L’économie locale était à l’arrêt. Les hôtels, les restaurants et les bars, les commerces. L’idée est venue lors d’une discussion avec une amie, allemande d’origine, qui gérait un bar bien connu de la région. C’est elle qui m’a suggéré d’organiser un marché de Noël à Montreux.
A cette époque-là, il y avait 3 régions fortes pour ce type d’événement : l’Allemagne, l’Alsace et l’Autriche.
Mme Berney, M. Bettex, M. Muller et moi-même, de l’Association des commerçants de Montreux, avons décidé de nous rendre sur place pour voir ce qui se faisait. Nous avons rencontré les personnes clés à la source de l’organisation de ces marchés de Noël et sommes revenus avec une foule d’informations.
Par exemple, nous avions constaté que pour être crédibles en tant que marché de Noël, il fallait prévoir un minimum de 80 petits chalets commerçants.
C’était énorme au début. Lorsque nous avions réussi à convaincre tous les commerçants de la Grand-Rue à Montreux de tenir un chalet durant tout le mois de décembre, nous avons compris que c’était réalisable. La décision fut prise de nous lancer dans l’aventure. En 1995, le premier marché de Noël de Montreux était né. Très vite, la question du financement s’est posée. La caisse de l’Association des commerçants de Montreux pouvait financer dix mille francs. Or le budget de base s’élevait à cinq cents mille francs ! Les 4 fondateurs se sont engagés à rembourser à titre personnel les montants prêtés par la banque sur une durée de 10 ans.
A l’époque, le directeur de la BCV Montreux a cru en notre projet et la banque a accepté de financer la totalité du montant. Au même moment, le commandant de la police de Montreux nous a apporté un soutien indéfectible en acceptant la pose des chalets sur la route de la Grand-Rue. Aucune taxe ne nous était réclamée par les autorités de la ville, qui nous ont également offert la gestion des déchets. Durant 10 ans, le marché de Noël de Montreux a pu se tenir chaque mois de décembre et réaliser un chiffre d’affaires suffisant pour rembourser le prêt octroyé par la banque.
Naturellement chacun au sein du comité a commencé à s’orienter selon ses compétences. C’est à ce moment-là, en 2004, qu’un nouveau président du comité a été désigné. Immanquablement, de gros changements ont été vécus dans les équipes. De 2004 à 2006-2007, la mise en route de l’organisation a été difficile. Le pas à franchir était important et la professionnalisation des tâches et dicastères a fait émerger quelques divergences. Le comité a dû se repositionner pour assurer la pérennité du marché de Noël.
Depuis sa création, le but ultime du marché de Noël visait à faire vivre la ville de Montreux durant cette période d’hiver. Jamais il n’avait été question de faire du business en se développant sans mesure. Cet événement était réellement pour les habitants de la région et l’accès était gratuit. On vivait dès lors un changement de modèle puisqu’il fallait désormais faire de la marge en prélevant une participation aux exposants pour assurer des liquidités. C’est aussi à cette période que la décision de professionnaliser cet événement a été prise. Montreux Noël s’est constituée en Sàrl. On a commencé à rémunérer les gens qui travaillaient bénévolement depuis 10 ans. Des contrats, des charges sociales, des assurances, toutes ces responsabilités qu’il fallait assurer.
C’est à partir de 2004 que nous avons commencé à chercher des sponsors. Nous avons pu compter sur le soutien de La Redoute et d’autres partenaires locaux. La CER a adhéré à notre entreprise et a accepté de nous suivre dans l’aventure. Elle nous a soutenu financièrement depuis 2009 durant 6 ans. Jusqu’à ce qu’elle fête son Bicentenaire en 2014.
Je relève que la notion de sponsoring a toujours été particulière. Davantage orientée sur le soutien dans le cadre d’un événement qui, lui, devait rester central pour la population. Les sponsors nous ont permis une croissance plus marquée. En 2010, la construction d’une halle de stockage financée par un prêt cantonal et communal a permis de regrouper sous un même toit toutes les compétences et le matériel. Cela a permis une grande évolution de notre organisation : achats de matériaux et de véhicules techniques, des équipes qui gèrent à l’interne toutes les constructions, fabrications, réparations et interventions techniques.
Est venu alors le moment de se faire connaître à l’étranger. Le marché de Noël de Montreux a été l’hôte d’honneur au marché de Noël de Strasbourg ainsi qu’à Bruxelles, les plus importants marchés de Noël en Europe. La notoriété de Montreux Noël était lancée. Avec le contrôle de la gestion des chalets-restaurants/bars, nous avons pu démultiplier le chiffre d’affaires de la manifestation. Et rembourser tous les nouveaux emprunts. Cette nouvelle phase de prospérité était alimentée par des nouveautés à chaque édition dont certaines ont beaucoup fait parler d’elles.
Ce qui a renforcé la notoriété de la manifestation à l’étranger. En particulier, nous avons bénéficié d’un joli coup de pouce par les réseaux sociaux. En 2019, une influenceuse anglaise invitée par la manifestation et l’office du tourisme est tombée sous le charme de Montreux Noël lors de sa visite. Elle a posté une vidéo qui a fait plus de 42 millions de vues sur les réseaux sociaux. Le Père Noël volant de Montreux faisait le buzz !
Un autre exemple me vient particulièrement. Alors que la ligne de chemin de fer qui monte aux Rochers-de-Naye était vouée à être fermée durant tout l’hiver, les activités de Montreux Noël ont complètement changé la donne. Aujourd’hui ce sont plus de 20’000 voyageurs qui prennent le train à crémaillère du MOB en décembre pour monter à 2’042 mètres d’altitude ! Et ce sont majoritairement les familles qui sont à l’origine de ce résultat. Comme si cette attraction était devenue une tradition. La clientèle a rajeuni (principalement les 24-45 ans) et les familles sont très présentes. Quels que soient la provenance, le milieu social, la condition et l’âge.
Cela venait confirmer le résultat d’une étude que nous avions commandée pour comprendre précisément quels étaient nos leviers.
C’est depuis ce moment-là que nous sommes passés en société anonyme. Montreux Noël SA permettait d’englober toutes les activités développées sur la commune de Montreux durant le mois de décembre, à savoir le marché de Noël, les quais en fête et l’espace des chasseurs, le Père Noël volant et la grande roue, la maison du Père Noël et la maison des vœux, la cabane des bûcherons et, depuis cette année, la patinoire féérique Light on Ice.
Oui nous sommes la même équipe de base. Et le même état d’esprit fondamental. C’est un gage de stabilité. C’est très important.
C’est ce qui fait que Montreux, petite ville de 27’000 habitants, jouit d’une belle notoriété internationale et s’invite dans les destinations de voyage toute l’année. Dans la même veine que le Montreux Jazz et le Montreux Comedy, Montreux Noël s’inscrit comme l’événement majeur qui bat chaque année des records d’affluence. L’édition 2019 de Montreux Noël s’est avérée exceptionnelle. Tant le nombre de visiteurs (+ de 600’000) que le chiffre d’affaires ont été au-delà de nos prévisions. Jusqu’à l’apparition de la pandémie, qui va bouleverser en profondeur l’ensemble du secteur événementiel.
Personnellement, je pensais en effet que le moment était bien choisi pour laisser les commandes de cette belle entreprise aux plus jeunes dans l’équipe. Les valeurs et l’état d’esprit de Montreux Noël sont sous bonne garde. J’étais serein pour l’avenir de Montreux Noël. Mais voilà qu’un cataclysme pandémique a surgi. Tout était remis en question.
Dans un contexte où les autorités – qu’elles soient suisses ou étrangères – étaient incapables de nous donner des informations précises et fiables tant elles étaient elles-mêmes confrontées à la soudaineté et l’exceptionnalité de la situation.
Comment aurais-je pu laisser à l’équipe en place une telle responsabilité dans un moment pareil ? J’ai décidé de rester.
C’était le chaos complet au niveau des décisions communales et cantonales. Imaginez-vous envoyer au canton et à la commune 4 dossiers d’autorisations publiques. A 3 mois du lancement de la plus grosse manifestation de la région, nous n’avions toujours pas de réponse ! C’était inconcevable. Nous avons constitué un comité de crise et décidé de ne prendre aucun risque sur l’hiver 2020.
L’année 2020 était perdue. Tout a été annulé. En 25 ans d’existence, cela n’était jamais arrivé ! Les équipes se sont retrouvées en suspension durant des mois. A attendre une évolution positive qui permettrait de se projeter. Heureusement, notre organisation professionnalisée depuis plusieurs années nous a permis d’obtenir les indemnités pour cas de rigueur afin de défrayer les entreprises qui subissaient un manque à gagner et pour garantir les salaires des équipes. C’était difficile. Tout était fermé à Montreux. On se serait cru à nouveau en 1995 !
Bien sûr, Montreux Noël avait constitué des réserves financières pour pallier une mauvaise année. Ou un risque climatique qui aurait pu endommager les infrastructures, au point peut-être de devoir fermer prématurément la manifestation. Mais en aucun cas nous aurions imaginé que ces « réserves de guerre » auraient à pallier un exercice zéro à cause d’une pandémie mondiale ! Et 2021 ne semblait pas démarrer sous de meilleurs auspices. L’incertitude régnait : reprise ou non des activités.
Malgré tous ces doutes, nous avions la conviction que les gens avaient envie de revenir à leur événement de fin d’année, de se retrouver à nouveau. Et c’est là qu’une opportunité d’innover a ranimé la flamme : Light on Ice. Un nouvel espace féérique, une patinoire couverte avec un parcours scintillant, un bar igloo à -20 degrés avec des sculptures de glace, des espaces détente et un autre bar dans une atmosphère festive.
L’enjeu était de jauger les probabilités que ce nouvel événement puisse avoir lieu coûte que coûte. Et qu’il ne soit pas impacté par les décisions des autorités en cas d’annulation de toutes les manifestations. Ce projet était important aussi pour que les équipes restent motivées. Pour dépasser la morosité du manque d’activité durant plusieurs mois. Cela en valait la peine.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec M. Denis Froidevaux, chef de l’Etat major de crise du canton. Par ce biais, nous nous garantissions l’accès aux informations les plus fiables. Il s’agissait de définir ce qui était possible ou impossible de faire, envisageable ou inenvisageable. Ainsi, il a été déterminé qu’une animation à l’intérieur, où le flux et le nombre de personnes pouvaient être contrôlés, ainsi que la sécurité et les mesures sanitaires, pourrait avoir lieu.
Effectivement. Et ma foi, sans folie rien n’existe. Nous pouvions à nouveau compter sur le soutien de 3 partenaires dont la Caisse d’Epargne Riviera. Je relève qu’à nouveau, notre banque de tous les jours était présente à nos côtés lors d’une période compliquée.
Notre patinoire féérique Light on Ice a rencontré un succès inespéré : on a comptabilisé 25’000 entrées payantes, en plus des 4-5’000 entrées non payantes (enfants de moins de 6 ans). Parfois même jusqu’à 1’500 entrées par jour. Et après Nouvel An, nous avons enregistré encore 700-800 entrées par jour.
Après une année 2019 extraordinaire pour Montreux Noël, nous étions loin d’imaginer que 2021 serait une cuvée aussi bonne. Plus de 450’000 visiteurs sur l’ensemble des activités de Montreux Noël, un chiffre d’affaires meilleur qu’en 2018, presque au même niveau de 2019 (sans la patinoire). Je confirme, cette prise de risque en valait la peine.
Oui, le rôle d’une banque de proximité est important. Surtout dans les moments de creux. On a confiance dans la banque que l’on connaît. Ma famille est cliente de la Caisse d’Epargne Riviera depuis 75 ans ! En tant que commerçants également. Lorsque j’étais enfant, pour mes parents déjà clients de la banque, c’était tout un événement lorsqu’ils allaient rencontrer leur banquier. A cette époque ils allaient trouver M. Mottier, le directeur de la banque. Je me souviens comme c’était important ce rendez-vous. Mon père mettait une cravate pour l’occasion. Le modèle de la Caisse d’Epargne Riviera perdure car il est resté ancré dans la vie régionale. C’est le même esprit que Montreux Noël.
Interview menée par Alexandre Gauthier-Jaques, Directeur de la CER, le 27 janvier 2022, à Vevey